mercredi 31 juillet 2013

SUR CETTE TERRE...


Voici un poème, un brin nostalgique, qui fut écrit tout en alexandrins.



Sur cette terre là, j’y avais mes amis

Elle était ma terre, les oiseaux s’y croisaient
Sans jamais s’y perdre. Les saisons défilaient.

J’aimais ses vents frêles qui couraient la vallée.
La lune voyageait, ça sentait l’ipomée.
Mes souvenirs sont là. J’y gardais mes envies,
J’y avais mes amours,  j’y avais mes amis.
Dans le vieux cinéma , mon âme s’égarait.
Hélas, sous les cendres, ma demeure mourait,
Laissée à l’abandon,   pareil qu’un vieil autel.

Je veux me souvenir d’une image éternelle :
C’est l’image des eaux où se coulait mon corps
Jeune et beau à seize ans, avec tous ses transports.
Ne plus penser à rien. Eviter que des mots,
Des sentiments passés, surgissent dans ces eaux.
Couleurs jaunies, fanées, de ces vieilles dentelles
Dont se pare mon cœur sous des songes flanelles.

J’avais tant souhaité   l’oublier cette terre,
Mon seul havre fleuri, mon départ pour Cythère,
Mon unique linceul doré, mon île Corse.
Terre séculaire, toi, gravée en mon torse,

J’y avais mon seul moi, sculpté et insondable.
Le seul moi qui soit vrai, le seul qui ne soit vent,
Le seul qui ne pouvait s’enfuir soudainement.

Je pensais bien faire,   je n’avais pas compris,
Et je me rappelle avoir poussé un grand cri :
Ici, tout était beau, les lumières brillaient
Encore plus fortes, partout elles brillaient.

Je regardais la rue où devait commencer
Une nouvelle vie, rien qu’à se prélasser.
Mais il fut très très court le temps de mes émois,
Je ne fus pas longue à perdre tout mon moi.
Nulle garde ne vint m’avertir des dangers.
Ceux qui en finesse pensaient à m’alerter,
Durement, ils butaient sur mes yeux trop candides
Et je n’avais alors que réflexes stupides.

Et mes murs furent noirs, et mes heures tristesse,
Et mes plaies béantes, et ma voix maladresse.
Il n’y eut sur mes yeux plus le moindre lilas,
Plus un seul papillon,  plus de jolies saisons.
De tout ce qui fût beau, je perdais la notion.
Je traversais ces rues sans magie, sans potion.
Il restait la laideur tout au long de ces rues.
Toutes les lumières étaient nues, dévêtues.

Je devais poursuivre, j’en étais horrifiée,
Ne voyant rien d’autre que tous ces corps souillés.
Tas de plaies impures, tas qui n’en finissaient
De pourrir par la chair. Les corps sains s’affaissaient.

Et l’unique raison que j’avais d’espérer
Etait que revienne ce beau plaisir d’aimer,
Comme si c’était là une voie bien tracée
Qui tout au fond de moi subsisterait, mêlée.
Le monde entier était à portée de mes mains,
Mais rien qui accroche. Pauvres larmes, en vain.
De combien d’errances mes nuits furent malheur ?
Ma terre figurait pour moi le vrai bonheur.

Cent milles crevasses comme milliers d’effrois,
Sans prière ni foi, entachaient mes draps froids.
Je n’avais que l’ombre sur le miroir brisé,
D’un moi anéanti au visage cerné.

Des rives lointaines de ces eaux bleues figées,
Vole libellule sur la fleur d’ipomée.
Je n’ai plus la force de caresser mes joues
Aux pétales de fleurs. Mon regard reste flou.
Qui saurait mieux que moi te désirer toujours
Ma demeure-cendre sur ma terre amour.
Et, comme à mes dix ans te regarder vivante,
Et, comme sur ma chair te retrouver amante.

Avec tes escaliers de chêne vermillon,
Et ton petit jardin aux vastes potirons,
Tu ravissais mes jours malgré mes craintes noires,
Sans que jamais fussent mes rêves illusoires.
Devant le rideau blanc le chat sommeillait.
Quand devant la flamme écarlate il veillait,
Des perles de tisons brillaient sur son pelage,
D’un jaune transparent, fluides comme des anges.

Mais ce joyeux tableau s’éloignait de mes yeux,
Aucun souhait ne le rattrapait, aucun vœu.
Inexorablement, dévalait dans la rue
Le fléau vicié des puanteurs, détritus.
Le fossoyeur des rues, à l’allure vénale,
Broyait sans un regret toute senteur florale.
Comme une vraie souillon, je chapardais, pressée,
Quelques brins de beauté échappés, égarés.

Et dire que j’avais éprouvé de la joie
En voyant cette rue pour la première fois !
J’en étais chagrinée au point que mes mains nues
S’agrippaient aux pensées de bacs fleuries des rues.
Et mes bras, grands, penauds, battaient le vide autour
Faisant pour la verte libellule un détour.
Craintifs, ils se perdaient sans espoir, au dehors.
Le vide… il n’y avait qu’illusion au dehors.

Mais j’entendis alors le chant de l’oiseau bleu
Venant de l’horizon. Il submergea mes yeux
D’un mirage d’espoir doux et inespéré.
L’oiseau fit renaître le paradis rêvé.

Revoilà les saisons, revoilà les moissons,
Un nouveau rendez-vous avec les mousserons.
Sur les eaux reviennent  mes rires de seize ans,
Et vivent mes amis, et vivent mes amants.

                                     Camille COLHER