Sur cette
terre là j’y avais mes amis
Elle
était ma terre, les oiseaux s’y croisaient
Sans
jamais s’y perdre. Les saisons défilaient.
J’aimais
ses vents frêles qui couraient la vallée.
La
lune voyageait, ça sentait l’ipomée.
Mes
souvenirs sont là. J’y gardais mes envies,
J’y
avais mes amours, j’y avais mes amis.
Dans
le vieux cinéma mon âme s’égarait,
Mais,
sous les cendres, ma demeure se mourait,
Laissée
à l’abandon pareil qu’un vieil autel.
Cette
image crée en moi un lien éternel,
C’est
l’image des eaux où se coulait mon corps,
Jeune
et beau à seize ans avec tous ses transports.
Ne
plus penser à rien. Eviter que des mots,
Des
sentiments passés surgissent dans ces eaux
Avec
des couleurs jaunies de vieilles dentelles.
Cela
se pourrait, mais mon cœur est de flanelle.
J’avais
souhaité l’oublier, elle, ma terre,
Mon
seul havre fleuri, mon départ pour Cythère,
Mon
unique linceul doré, mon île Corse,
Ma
terre séculaire gravée en mon torse.
Elle,
ma sauvegarde contre l’innommable.
J’y
avais mon seul moi gravé et insondable,
Le
seul moi qui soit vrai, le seul qui ne soit vent,
Le
seul ne pouvant m’échapper soudainement.
Je
pensais bien faire, je n’avais pas compris,
Et
je me rappelle avoir poussé un grand cri,
Ici,
tout était beau, les lumières brillaient,
Encore
plus fortes. Partout elles brillaient.
Je
regardais la rue où devait commencer
Une
autre vie, différente, à se prélasser.
Mais
il fut très très court le temps de mes émois,
Et
je ne mis pas longtemps à perdre mon moi.
Nulle
garde ne vint m’avertir des dangers.
Ceux
qui en finesse pensaient à m’alerter,
Durement
butaient sur mes yeux bien trop candides,
Et
je n’avais alors que réflexes stupides.
Et
mes murs furent noirs, et mes heures tristesse,
Et
mes plaies béantes, et ma voix maladresse.
Il
n’y eut en moi plus le moindre lilas,
Plus
le moindre papillon ou saison, hélas.
De
tout ce qui fût beau, je perdais la notion.
Je
traversais ces rues sans magie, sans potion.
Il
ne restait que laideur au fond de ces rues,
Toutes
les lumières étaient nues, dévêtues.
Je
devais poursuivre, j’en étais horrifiée.
Je
ne voyais rien d’autre que des corps souillés,
Souillés
de plaies impures qui n’en finissaient
De
pourrir dans leurs chairs. Les corps sains s’affaissaient.
Et
l’unique raison que j’avais d’espérer
Etait
que me revienne ce plaisir d’aimer,
Comme
il en serait d’une voie toute tracée,
Qui
subsisterait au fond de moi, emmêlée.
Le
monde entier était à portée de mes mains,
Mais
rien n’accrochait, mes larmes pleuraient en vain.
De
combien d’errances mes nuits furent malheur ?
Ma
terre représentait pour moi le bonheur.
Mille
crevasses comme des milliers d’effrois,
Sans
prière ni foi, entachaient mes draps froids.
Je
n’avais que l’ombre sur le miroir brisé,
D’un
moi anéanti au visage cerné.
Des
rives si lointaines de ces eaux figées
Surgissait
la libellule sur l’ipomée,
Mais
je n’avais la force de coller mes joues
Aux
pétales de fleurs. Mon regard restait flou.
Qui
saurait mieux que moi te désirer toujours,
Toi,
ma demeure-cendre sur ma terre amour,
Et
comme à mes dix ans te regarder vivante,
Et
comme sur ma chair te retrouver amante.
Avec
tes escaliers de chêne vermillon,
Et
ton petit jardin aux vastes potirons,
Tu
ravissais mes journées même les plus noires,
Sans
que jamais me fussent mes rêves illusoires.
Devant
le rideau tendu le chat sommeillait,
Et
quand devant la flamme écarlate il veillait,
Des
perles-tison se posaient sur son pelage,
Imitant
la transparence fluide d’un voile.
Mais
ce joyeux tableau s’éloignait de mes yeux,
Aucun
souhait ne le rattrapait, aucun vœu.
Inexorablement
dévalait dans la rue
Le
fléau de la puanteur, des détritus.
Le
fossoyeur des rues à l’allure vénale
Broyait
sans pitié la moindre senteur florale.
Comme
une vraie souillon, je chapardais, pressée,
Quelques
brins de beauté échappés, égarées.
Et
dire que j’avais éprouvé de la joie
En
voyant cette rue pour la première fois !
J’en
étais chagrinée au point que mes mains nues
S’agrippaient
aux jardinières asséchées des rues.
Et
mes bras penauds battaient le vide alentour,
Faisant
pour la verte libellule un détour
Qui
se perdait, inutilement, au dehors.
Le
vide… il n’y avait qu’illusion au dehors.
Mais
j’entendis, alors, le chant de l’oiseau bleu
Venant
de l’horizon. Il submergea mes yeux
D’un
mirage voluptueux, inespéré,
Qui
fit renaître en moi le paradis rêvé.
Revoilà
les saisons, revoilà les moissons,
Un
nouveau rendez-vous avec les mousserons.
Sur
les eaux reviennent mes rires de seize ans,
Et
vivent mes amis, et vivent mes amants.
Poème de Camille Colher écrit en alexandrins.
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