mercredi 2 janvier 2013

Ma maison





Sur cette terre là j’y avais mes amis

Elle était ma terre, les oiseaux s’y croisaient
Sans jamais s’y perdre. Les saisons défilaient.
J’aimais ses vents frêles qui couraient la vallée.
La lune voyageait, ça sentait l’ipomée.

Mes souvenirs sont là. J’y gardais mes envies,
J’y avais mes amours, j’y avais mes amis.
Dans le vieux cinéma mon âme s’égarait,
Mais, sous les cendres, ma demeure se mourait,

Laissée à l’abandon pareil qu’un vieil autel.
Cette image crée en moi un lien éternel,
C’est l’image des eaux où se coulait mon corps,
Jeune et beau à seize ans avec tous ses transports.

Ne plus penser à rien. Eviter que des mots,
Des sentiments passés surgissent dans ces eaux
Avec des couleurs jaunies de vieilles dentelles.
Cela se pourrait, mais mon cœur est de flanelle.

J’avais souhaité l’oublier, elle, ma terre,
Mon seul havre fleuri, mon départ pour Cythère,
Mon unique linceul doré, mon île Corse,
Ma terre séculaire gravée en mon torse.

Elle, ma sauvegarde contre l’innommable.
J’y avais mon seul moi gravé et insondable,
Le seul moi qui soit vrai, le seul qui ne soit vent,
Le seul ne pouvant m’échapper soudainement.

Je pensais bien faire, je n’avais pas compris,
Et je me rappelle avoir poussé un grand cri,
Ici, tout était beau, les lumières brillaient,
Encore plus fortes. Partout elles brillaient.

Je regardais la rue où devait commencer
Une autre vie, différente, à se prélasser.
Mais il fut très très court le temps de mes émois,
Et je ne mis pas longtemps à perdre mon moi.

Nulle garde ne vint m’avertir des dangers.
Ceux qui en finesse pensaient à m’alerter,
Durement butaient sur mes yeux bien trop candides,
Et je n’avais alors que réflexes stupides.

Et mes murs furent noirs, et mes heures tristesse,
Et mes plaies béantes, et ma voix maladresse.
Il n’y eut en moi plus le moindre lilas,
Plus le moindre papillon ou saison, hélas.

De tout ce qui fût beau, je perdais la notion.
Je traversais ces rues sans magie, sans potion.
Il ne restait que laideur au fond de ces rues,
Toutes les lumières étaient nues, dévêtues.

Je devais poursuivre, j’en étais horrifiée.
Je ne voyais rien d’autre que des corps souillés,
Souillés de plaies impures qui n’en finissaient
De pourrir dans leurs chairs. Les corps sains s’affaissaient.

Et l’unique raison que j’avais d’espérer
Etait que me revienne ce plaisir d’aimer,
Comme il en serait d’une voie toute tracée,
Qui subsisterait au fond de moi, emmêlée.

Le monde entier était à portée de mes mains,
Mais rien n’accrochait, mes larmes pleuraient en vain.
De combien d’errances mes nuits furent malheur ?
Ma terre représentait pour moi le bonheur.

Mille crevasses comme des milliers d’effrois,
Sans prière ni foi, entachaient mes draps froids.
Je n’avais que l’ombre sur le miroir brisé,
D’un moi anéanti au visage cerné.

Des rives si lointaines de ces eaux figées
Surgissait la libellule sur l’ipomée,
Mais je n’avais la force de coller mes joues
Aux pétales de fleurs. Mon regard restait flou.

Qui saurait mieux que moi te désirer toujours,
Toi, ma demeure-cendre sur ma terre amour,
Et comme à mes dix ans te regarder vivante,
Et comme sur ma chair te retrouver amante.

Avec tes escaliers de chêne vermillon,
Et ton petit jardin aux vastes potirons,
Tu ravissais mes journées même les plus noires,
Sans que jamais me fussent mes rêves illusoires.

Devant le rideau tendu le chat sommeillait,
Et quand devant la flamme écarlate il veillait,
Des perles-tison se posaient sur son pelage,
Imitant la transparence fluide d’un voile.

Mais ce joyeux tableau s’éloignait de mes yeux,
Aucun souhait ne le rattrapait, aucun vœu.
Inexorablement dévalait dans la rue
Le fléau de la puanteur, des détritus.

Le fossoyeur des rues à l’allure vénale
Broyait sans pitié la moindre senteur florale.
Comme une vraie souillon, je chapardais, pressée,
Quelques brins de beauté échappés, égarées.

Et dire que j’avais éprouvé de la joie
En voyant cette rue pour la première fois !
J’en étais chagrinée au point que mes mains nues
S’agrippaient aux jardinières asséchées des rues.

Et mes bras penauds battaient le vide alentour,
Faisant pour la verte libellule un détour
Qui se perdait, inutilement, au dehors.
Le vide… il n’y avait qu’illusion au dehors.

Mais j’entendis, alors, le chant de l’oiseau bleu
Venant de l’horizon. Il submergea mes yeux
D’un mirage voluptueux, inespéré,
Qui fit renaître en moi le paradis rêvé.

Revoilà les saisons, revoilà les moissons,
Un nouveau rendez-vous avec les mousserons.
Sur les eaux reviennent mes rires de seize ans,
Et vivent mes amis, et vivent mes amants.



Poème de Camille Colher écrit en alexandrins.

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